Ann meurt, et c'est dans l'ordre des choses, puisque c'est littéralement ce qu'on attend d'elle sur scène dans chacun de ses rôles.
Annette est une oeuvre désespérée qui dit l'artificialité du monde du spectacle, paradoxalement renforcée par sa capacité à contaminer le réel qui devient lui même spectacle sordide.
Et chacun finalement reste dans le rôle que lui assigne le public. Le cas de Nadine Trintignant qui signe la tribune de soutien puis se dédouane ensuite est édifiant de ce point de vue. Comme si elle oubliait un court instant son "rôle" de mère de victime avant d'être rappelée à l'ordre.
Reconnaître sa culpabilité reviendrait, pour une partie de l'industrie du cinéma et du public à reconnaître NOTRE responsabilité. La parole de victimes dans Annette est renvoyée à une courte scène onirique dont on ne saura jamais si elle est réelle ou pas.
C'est exactement ce qu'il se passe avec Depardieu, qu'on qualifie assez ironiquement d'ailleurs, lorsqu'on le défend de "monstre du cinéma". La tribune en sa défense ne dit pas autre chose que cela : il est défendu parce qu'il est le monstre.
Elle dit comment les artistes sont littéralement consommés par leur public qui leur assigne des rôles, y compris dans le réel. Elle dit la puissance du storytelling médiatique que nous consommons goulûment.
Annette est une oeuvre qui met mal à l'aise car elle dit la responsabilité collective, la dimension systémique des violences dans une société où l'un des moteurs du spectacle EST la tragédie et les émotions violentes, et l'envie que celles-ci traversent l'écran pour arriver "en VRAI".
Il va jusqu'à faire raconter le meurtre par anticipation sur scène à son héros, sous les yeux mi amusés mi inquiets du public. Et quand Annette (l'enfant) devient une mini Ann adulée, eh bien la boucle est bouclée. La même qui adressera d'ailleurs à ses deux parents des reproches à la fin du film.
Carax ne nous épargne rien dans le sens où Henry ne fait finalement que ce qu'on attend de lui (être un monstre), et je trouve d'autant plus interessant que le réalisateur lui donne même les excuses habituelles (alcool, fascination pour l'"abyme", le poète maudit quoi).
De cette union qui nous fascine au sens premier du terme nait une enfant marionnette, qui sera ensuite exploitée par son père et l'amoureux transi de sa mère pour fasciner à son tour le public.